Après des études à l'école supérieure des Arts appliqués, (ENSAAMA) à Paris, Frédéric Voisin démarre sa carrière artistique dans les années 1980. Il s’impose alors dans le domaine de l’illustration : pour la presse, les agences de publicité et le monde musical (affiches, couvertures de disques).
Dés 1983, Frédéric Voisin est un des premiers à utiliser l’informatique, en partenariat avec Apple Computer, pour la création d’images infographiques qu'il expose en Angleterre, au Canada, aux Etats-Unis, au Japon. Il fait parti des artistes associés à la « figuration libre » . Il poursuit ensuite sa carrière d'illustrateur à Londres dans les années 90 ou il créer des illustrations et des couvertures de disques, en parallèle il passera un Master of Art en gravure au Camberwell College of Art de Londres.
Il s’installe à Reims en 2000, et se consacre exclusivement à la gravure et à la peinture. Son oeuvre pictural abstraite dénote un intérêt pour la matière pure : jeu des pigments, leur couleur, leur matérialité, usage du vernis transcendé jusqu’à devenir un élément du motif.
Avec l’estampe, Frédéric Voisin explore un tout autre mode d’expression : la gravure sur linoléum qui découle de la technique de la gravure sur bois. Mais étonnamment en changeant de technique, l’artiste change aussi de motif. Il revient à nouveau vers la figuration et explore une iconographie traditionnelle. Passionné de l'histoire du Moyen Age et de la Renaissance, il explore les gravures des grands Maîtres (DÜRER, SCHONGAUER, CRANACH...).
L'opportunité lui est donnée d'exposer ses gravures avec celles de Albrecht DÜRER. En 2008 Il entreprend donc comme le Maître d'illustrer l'Apocalypse de saint JEAN.
L'exposition à lieu en septembre 2010 au Musée le Vergeur (Reims) qui conserve la série de l'Apocalypse du Maître de la Renaissance.
En 2011 Frédéric Voisin décide de créer une fresque de 16 m sur 2m sous forme « d'expand banners « . Cette série de 16 panneaux fera l'objet d'une exposition itinérante dans certains lieux sacrés (Cathédrale, Abbayes...). L'exposition débutera à la Cathédrale Notre Dame de Reims en 2012.
Frédéric Voisin, un monstre de gravure au XXIe siècle
Frédéric Voisin a du sang marin dans les veines. Il faut le voir tenir des deux mains le volant de sa presse à gravure, comme d’autres tiennent le gouvernail d’un navire, pour comprendre combien il tient bon le cap de la création. D’un aïeul corsaire, qui mouillait au large de St. Malo, il a hérité le goût des histoires et une curiosité à 360° qui lui fait regarder depuis le Moyen Âge jusqu’à l’art populaire. De son père, il a reçu l’amour de l’art : « Mon père était un vrai passionné d’art. C’est grâce à lui si je fais ce métier… », raconte l’artiste. C’est son père, en effet, qui l’emmène à l’âge de dix ans à Gand afin de voir le retable de L’Adoration de l’Agneau mystique (vers 1432) des frères Hubert et Jan Van Eyck, qu’un gardien ouvre encore à la main devant les visiteurs venus l’admirer dans la cathédrale Saint-Bavon. « Ce fut mon premier choc visuel », se souvient Frédéric Voisin, et une révélation pour celui qui en a fait son acte de naissance artistique.
Le jeune Frédéric n’est pas le premier à succomber à la beauté de ce chef-d’œuvre de l’art flamand, sinon de l’art tout court ; Hieronymus Münzer, un humaniste allemand que le voyage conduisit à Gand, rapporte à la fin du XVe siècle qu’un « peintre, qui voulait surpasser cette œuvre, en [serait] devenu mélancolique et fou ». D’aucuns y ont vu en effet, comme Lucas de Heere, bien davantage que de simples panneaux de chêne peints à l’huile : « des miroirs » ! Des miroirs reflétant pour sûr l’image de la nature pour la première fois égalée par le pinceau et, pour le jeune Frédéric, des miroirs de l’âme renvoyant tout ce que son monde intérieur compte alors de personnages fantastiques, de monstres et de squelettes, de héros et de chevaliers, de diables, d’anges et de chimères qui le peuplent, cinquante ans après, toujours. Car Frédéric est un peu le saint Antoine de Schongauer (vers 1470-1475), tenté par des monstres taquins aux formes si hideuses qu’ils prêtent à sourire.
C’est après cet épisode que l’artiste se met à ouvrir les livres d’art de son père, à tourner une à une les pages religieusement, à détailler chaque image pour se découvrir un monde nouveau, complémentaire de celui qu’habitaient déjà les monstres de l’illustrateur américain Basil Wolverton (1909-1978) dont le jeune homme collectionnait les images ; un monde peint par des artistes dont les noms résonnent d’étrangeté : Bosch, Brueghel, Memling, Van der Weyden… Des noms anciens de faiseurs de fables qui, par la maîtrise des apparences, atteignaient le surnaturel, et dont Frédéric découvrira plus tard qu’ils étaient les pères de la veine que l’on nomme « fantastique » dans laquelle le futur artiste allait s’inscrire.
Le « fantastique », cet art sorti de l’imagination. Cet art de métamorphoser le réel par le ludique. Parfois, aussi, par la folie. Nichés au XIXe siècle, les maîtres en la matière s’appellent Félicien Rops, Odilon Redon, Félix Bracquemond, Gustave Doré, Max Klinger, Rodolphe Bresdin, etc. Eux aussi ont regardé du côté de leurs aînés : Schongauer, Dürer – dont Redon, qui avait accroché La Mélancolie (1514) au mur de son salon, partage la passion avec « Fred » –, Rembrandt, Callot, Piranèse, sans oublier Goya, celui du 43e « Caprice », Le sommeil de la raison engendre des monstres (1799), qui devait libérer l’imaginaire de tout le siècle suivant.
Nul hasard s’il s’agit, chaque fois, d’immenses graveurs. C’est que le fantastique fraye avec l’estampe, selon les âges de la taille-douce, de la taille en relief ou de la lithographie. Plus que la peinture ou le dessin, trop vifs, la gravure est « le moyen le plus prompt de rendre sa pensée », vantait en 1862 la jeune Société des aquafortistes. C’est qu’elle demande du temps, explique en creux Cécile Reims, qui a si magnifiquement gravé Bellmer et Fred Deux. La gravure est l’art du « contre-temps », un art où le graveur « prend son temps, se donne le temps et jamais ne le comptabilise ». On peut s’improviser peintre, on ne s’improvise pas graveur. « Patiemment, écrit la buriniste, sa main incise dans le cuivre ce qu’il a vu ou imaginé, ce qui est passé par le filtre de ses émotions. En un prodigieux cheminement, de ce qu’a intercepté sa rétine ou de ce qu’a évoqué son imaginaire (les mêlant parfois) vers l’organe central qu’est le cerveau qui, à son tour, l’achemine vers la main, laquelle la transcrit dans le cuivre. »
Et cela ne change rien si Frédéric Voisin préfère, au cuivre, le linoléum. Apparu en Angleterre au XIXe siècle pour recouvrir les sols, le matériau a été récupéré par les artistes aux environs de 1900, qui ont vu dans le lino un nouveau support plus tendre et plus facile à travailler que le bois. Creusée à l’aide de gouges, la plaque de linoléum est ensuite recouverte d’encre, puis posée sur le papier avant de subir la pression de la presse qui imprime, en définitive, les reliefs épargnés. Matisse a utilisé la linogravure pour dessiner le portrait de Teeny, sa bru ; Picasso, lui, l’a choisi pour faire danser ses bacchanales et ses faunes. Sans doute parce que la ligne est plus dansante que celle obtenue par la pointe du burin, moins sévère aussi que le trait de la gravure sur bois. C’est pourquoi les gravures de Frédéric Voisin ont tant de douceur, même lorsqu’il s’agit de dessiner une vanité, voire L’Apocalypse…
Retour aux livres : à ceux qui remplissent l’atelier. Frédéric Voisin se souvient-il du Saint Jean à Patmos de Schongauer (vers 1485-1491), la plume à la main et le livre sur les genoux, rédigeant son Apocalypse ? À l’invitation du Musée Le Vergeur à Reims, il entreprend en 2008 de graver le texte de Jean et de rendre hommage à Dürer, le maître absolu, dont l’institution possède le jeu complet de L’Apocalypse, suite de seize planches gravées en 1498. L’entreprise lui demande deux ans de lectures et de travail assidu. Du temps, encore, pour voir les cavaliers chevaucher leur monture blanche, rouge feu, noir et verdâtre, pour voir se lever « le grand jour de colère » et « l’aigle volant au zénith » crier « malheur » dans son déguisement de crustacé, comme sorti du cerveau d’un imagier.
Il lui faudra autant de temps pour accoucher d’une autre série décisive, Memento Mori (2011-2012). Souviens-toi que tu vas mourir… Cette fois encore, Frédéric se plonge dans la littérature et l’histoire de la représentation, allant regarder du côté des enfers au Moyen Âge, période qu’il affectionne particulièrement. Alors refont surface Le Jugement dernier de Van der Weyden et celui de Memling, le Polyptyque de la Vanité et de la Rédemption terrestre de ce dernier (vers 1490), Bosch et Brueghel bien sûr, mais aussi le Décharné du sculpteur Ligier Richier, les planches d’anatomie de Vésale et les calaveras de Posada – un graveur, encore ! Là réside le talent de Frédéric Voisin d’explorer les arts nobles et populaires, de visiter Van Eyck et Wolverton, saluer Edgar Allan Poe après avoir célébré la BD, marier le sérieux et le grotesque, unir le saint et le malin comme le firent, il y a plus d’un siècle, les diableries stéréoscopiques redécouvertes par Brian May (le guitariste de Queen) ou celles, lithographiques, de Charles Ramelet (Rêveries diaboliques, 1832).
Au bout du compte, seul le voyage de l’imaginaire importe à l’artiste pour aller découvrir, près de deux siècles après Grandville – l’illustrateur cette fois –, « un autre monde », le sien, et créer des images « issues de l’univers le plus archaïque », comme l’a écrit Jean-Luc Chalumeau à propos de ses dessins réalisés sur Macintosh 512K – dont il fut un des pionniers – au mitan des années 1980. Mais un univers qui n’a d’archaïque que l’apparence, tant celui-ci transpire de références, un univers large et infini que Frédéric Voisin n’a pas terminé d’explorer. L’artiste s’est en effet récemment plongé dans la littérature sur les cap-horniers dont personne, pas même lui, ne sait ce qu’il adviendra. Pour l’heure, le graveur est trop occupé à poursuivre la série entamée sur les Ugly Monsters, ces drôles de monstres aux yeux globuleux, mi-extraterrestres mi-ovni. L’idée des Ugly lui est apparue un jour « un peu pour se marrer », beaucoup pour rendre hommage à Wolverton. Cela le détend, dit-il, de memento mori, des vanités et d’un récent phare d'Alexandrie, beau à en tomber. Après tout, pourquoi les corsaires, fussent-ils de l'art, ne pourraient-ils pas prétendre, eux aussi, à un peu de repos ?
Fabien Simode, Rédacteur en chef du magazine d'art l'œil.