Bêtes Édifiantes, de Joseph Boillot à Frédéric Voisin
Les musées de Langres ont invité l’artiste rémois Frédéric Voisin à une création originale librement inspirée du bestiaire fantastique publié en 1592 par Joseph Boillot, ingénieur langrois de la Renaissance. Frédéric Voisin revisite les « figures de termes » de Boillot en deux séries inédites de 14 linogravures, noires et colorées.
Elles sont dévoilées parallèlement à l’exposition principale, dans laquelle les estampes correspondantes du livre de Boillot sont également visibles.Travaillant aujourd’hui principalement la linogravure, Frédéric Voisin maîtrise parfaitement l’iconographie traditionnelle, en réinterprétant régulièrement les grands thèmes de l’histoire de l’art.
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De fantaisies zoomorphes …
Figure majeure de l’histoire langroise à la Renaissance, l’ingénieur militaire, architecte et graveur Joseph Boillot (vers 1530/1535 – 1605) publia en 1592 l’ouvrage Nouveaux Pourtraitz et figures de termes pour user en l’architecture : Composez & enrichiz de diversité d’Animaulx, representez au vray, selon l’Antiathie & contrariété naturelle de chacun d’iceulx auquel contribua également le graveur et orfèvre Pierre Woeiriot (1531 ou 1532 – 1599). Bien connu des historiens par de remarquables gravures, ce dernier réalisa certainement tout ou partie des planches de ce recueil. En effet, la virtuosité du trait et la parfaite maîtrise technique nécessaire à leur exécution posent la question de l’attribution au seul Joseph Boillot.
Constitué de 55 planches gravées, sur bois ou en taille-douce, ce petit in-folio présente un fabuleux bestiaire sous forme de termes zoomorphes, accompagnés d’un texte en regard. En architecture, le terme est une figure soutenant un entablement. Il s’agit plus précisément d’une déclinaison d’une cariatide et d’un atlante, c'est-à-dire une colonne représentée sous la forme d’une figure humaine (féminine ou masculine) qui supporte l’élément d’édifice. Les cariatides et les atlantes deviennent des « termes » lorsque le bas du corps est remplacé par une gaine et que de la figure anthropomorphe seul le buste demeure.
Les Nouveaux Pourtraitz s’inscrivent dans la continuité des recueils d’ornements qui se répandent en France vers 1560 et Boillot offre là un bestiaire à la fois brillamment illustré (couronnes de fruits, guirlandes de fleurs) et empreint d’un souci de représentation et de description de veine naturaliste (traits des animaux, observation des « sympathies » et « antipathies » naturelles).
Mais l’ouvrage répond également à une conception humaniste du monde, où l’Homme se trouve placé au centre du système de pensée et ne peut être asservi, même symboliquement. Les figures de termes portent la charge du bâtiment : substituer des animaux aux figures anthropomorphes est alors une façon de ne plus utiliser la figure humaine pour une fonction qui offense sa dignité.
Afin de donner plus de force à ces figures zoomorphes, l’ingénieur langrois leur associe un ou plusieurs contraires, sensés tenir l’animal droit. En effet, se basant sur les observations des auteurs antiques, les humanistes du XVIe notent des « sympathies » ou « antipathies » au sein des trois règnes, animal, végétal et minéral.
Les compositions de Joseph Boillot répondent donc à ce principe : le tigre est représenté accompagné d’instruments de musique, sensés être « chose contraire, hay de cest animal » (Nouveaux pourtraitz…, Du Tigre), le cheval accompagne le chameau « pour l’inimitie & haine naturelle » (Nouveaux pourtraitz…, Du Chameau) qu’ils se portent. Cet affrontement de contraires est aussi gage d’harmonie : les contraires se maintiennent l’un et l’autre, participant ainsi à l’équilibre de l’ensemble.
… Aux bêtes fantastiques
Des gravures de Boillot, Frédéric Voisin a choisi de garder la structure de la colonne comme élément majeur de la composition. Mais si cet élément d’architecture est isolé dans les œuvres du graveur langrois, il est déplacé dans un contexte de ruines par l’artiste contemporain. Les animaux de Boillot s’émancipent alors de leur fonction de termes pour occuper l’ensemble de la feuille et peupler un monde d’anciennes abbayes abandonnées, de châteaux fantomatiques.
Croisant différentes influences, Frédéric Voisin fait ici se rencontrer la fantaisie et l’imagination de Boillot et l’univers gothique de Howard Phillips Lovecraft (1890-1937). Les figures de termes deviennent alors des bêtes énigmatiques évoluant dans un monde crépusculaire.
Cette atmosphère est rendue palpable par le remarquable travail de Frédéric Voisin sur la présence et la force du noir. La technique de la linogravure permet de développer des traits présents et expressifs mais également de larges surfaces où le noir de l’encre typographique se fait profond et velouté.
Dans ses Nouveaux Pourtraitz…, Joseph Boillot et Pierre Woeiriot utilisent aussi bien la technique de la xylographie, technique dite en relief, que celle de la taille-douce, dite en creux. Si la première donne une présence remarquable aux traits, offre des noirs plus denses et accentue le contraste avec la texture du papier, la seconde met en évidence la finesse des détails et la virtuosité de la technique. Chaque incision participe alors au modelé de la figure. La beauté des planches, xylographies et tailles-douces, atteste la virtuosité de l’exécution.
Là où les figures de termes du graveur langrois se déclinaient exclusivement en noir et blanc, Frédéric Voisin a choisi de travailler sur deux séries, l’une en noir et blanc l’autre en couleur où la parfaite maîtrise de la palette chromatique se décline sur des ciels s’étirant du pourpre au jaune pâle. Nos bêtes édifiantes se découpent alors sur des dégradés bleus lunaires, à la luminosité inquiétante. Le choix du titre, Entre chien et loup, prend alors tout son sens.
Laetitia MIGUERES
Chargée des publics
Musées de Langres
En savoir plus : Article de La Voix de la Haute Marne sur l'exposition Bêtes Édifiantes
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